Si la naissance de mon aîné s’était passée de façon idéale et ne m’avait pas fait douter de mes capacités de jeune maman, c’est l’arrivée de son petit frère qui a chamboulé toutes mes certitudes  … 

 

Le grand bonheur de devenir maman

Quand notre premier Loulou est né, j’ai vécu plusieurs jours suspendue sur un petit nuage, hors du temps. Je n’avais jamais ressenti ça. C’était un peu comme si j’étais parvenue à atteindre ce niveau de bonheur duquel on regarde d’en haut pour se dire : « Alors, c’est ça !? C’est ça, être comblée. » Je n’avais plus d’attente, je n’espérais rien de plus que ce bonheur à trois et de savourer chaque instant. Il me semblait alors que je n’aurais jamais plus besoin de rien d’autre que de Damien et de ce petit bébé qui venait de naître, et que ce bonheur me suffirait toute ma vie.

J’avais su tout de suite que j’étais tombée enceinte. Le test de grossesse avait été une simple formalité car, au fond de moi, il n’y avait eu aucun doute (je reconnaissais les symptômes qui m’avaient accompagnée lors d’une première grossesse qui n’avait pas aboutie). Sa naissance avait été quasi parfaite, comme si l’accouchement s’était fait en toute confiance pour l’un comme pour l’autre. Nous avions chacun essayé de faciliter le travail de l’autre : j’avais attendu qu’il me dise quand partir à l’hôpital (pas trop tôt pour ne pas avoir à trop l’attendre, ni trop tard pour me laisser la possibilité d’avoir, in extremis, une péridurale si je le sentais ainsi. (Et je l’avais senti ainsi). Je n’avais même pas perdu les eaux. Une fois tous les deux prêts, je l’avais laissé descendre naturellement dans mon bassin, j’avais poussé quelques fois et essayé de faire vite pour qu’il ne s’affole pas trop. Et tout s’était très bien passé : c’était moi qui l’avais attrapé entre mes mains au moment de l’expulsion et qui l’avais posé contre moi. Il n’avait même pas pleuré. Il était né (partiellement) coiffé, (ce qui, selon la sage-femme qui nous avait aidés, portait bonheur). Je l’avais regardé et lui avais dit « Bienvenue Loulou, c’est moi, c’est Maman. Et voici Papa. Ne t’inquiète pas, nous sommes là. » Il était parvenu à se hisser seul jusqu’à mon sein pour recevoir sa tétée d’accueil et nous étions restés comme ça, tous les trois à faire connaissance un long moment. Lorsque tout le monde fut prêt, Damien avait coupé son cordon.

Loulou s’était montré calme et serein dès le début. Nous étions tous les deux confiants que tout se passerait bien, que nous pouvions compter l’un sur l’autre. Nous n’avions pas de doute sur notre lien. Nous vivions en symbiose complète et j’avais l’impression que notre relation était, à certains moments, (prenez-moi pour une folle !) télépathique : il nous arrivait d’ouvrir calmement nos yeux à la même seconde ou de nous nous retourner l’un vers l’autre au même moment.

Dans le même temps, j’avais fait attention dès le départ à bien laisser Damien prendre sa place. Pendant la grossesse, nous avions fait de l’haptonomie pour sécuriser affectivement notre Loulou, renforcer nos liens à tous les trois et pour permettre à Damien d’être déjà dans l’échange avec bébé. Il était crucial pour moi qu’il crée lui aussi une relation particulière avec Loulou et qu’ils aient leurs moments bien à eux. Lorsqu’il était à la maison, je m’effaçais systématiquement en dehors des tétées pour qu’il s’occupe de notre bébé aussi souvent qu’il en avait envie, et j’étais partie du principe que, lui aussi, saurait faire. Le soir de notre retour de la maternité, il s’était mis à pleurer en s’occupant de Loulou, se disant qu’il « n’arriverait pas » à le rassurer. De mon côté, je n’ai jamais douté de ses compétences et l’ai rassuré, mais n’ai jamais fait à sa place. Et il s’est révélé être un super papa.

Dès le départ, il était important pour moi que je confirme à Loulou qu’il pourrait toujours compter sur moi. C’est pourquoi, je ne l’ai jamais laissé pleurer. J’ai toujours répondu immédiatement à ses appels, même dans les moments les plus délicats : je me souviens que je déplaçais systématiquement son Cocoonababy, son tapis ou son transat jusque dans les toilettes pour qu’il sache que je n’étais pas loin et pouvoir dégainer aussi vite que possible s’il en avait besoin, quel que soit le contexte … Je répondais sur-le-champ au moindre appel et je le consolais inlassablement dans les moments difficiles (coliques des premières semaines, douleurs dentaires, etc.). Et j’ai toujours fait ça avec le plus grand des plaisirs, même quand je me levais pour la 17ème fois pour redonner une tétine perdue. (Certes, ne nous mentons pas, j’aurais préféré ne pas avoir à me lever, d’autant plus qu’il a été long à faire ses nuits, mais je ne lui en ai jamais voulu, je l’ai toujours entendu dès son premier petit bruit et me suis toujours déplacée avec bienveillance). J’étais donc confiante quant à ma capacité à lui donner tout ce dont il avait besoin et me sentais pleinement épanouie.

 

Notre projet de deuxième bébé

Ce contexte nous a conforté dans notre choix d’avoir un deuxième bébé rapidement. Nous avions un projet de famille « nombreuse » et nous souhaitions que nos enfants soient rapprochés pour que leur lien soit plus fort (ce qui avait manqué à Damien comme à moi avec nos frères respectifs). Je me doutais que mon deuxième Chaton serait un garçon … une intuition encore … (Je n’avais en revanche pas deviné être enceinte comme ça avait été le cas avec mon aîné). Idéalement, nous espérions (moi encore plus) que ce serait une fille, pour équilibrer un peu les choses et parce qu’a priori lorsque nos 2 premiers enfants sont du même sexe, le troisième a 80% de chance d’être du même sexe lui aussi. Quand, à 2 mois et demi de grossesse, l’échographie nous a révélé le sexe du bébé, j’admets avoir eu une déception, me disant que je ne serais jamais maman de fille. Et, en même temps, je culpabilisais de ressentir ça alors que j’avais de nouveau la chance d’être enceinte, que Chaton allait bien et qu’il devait ressentir cette déception alors que j’étais si contente qu’il soit là. Et puis, ce même soir, la déception a peu à peu laissé la place à un grand sentiment de responsabilité : si nous n’avions que des garçons, ils n’auraient, au quotidien, pas d’autre modèle féminin que moi. Et comme nous essayions d’élever Loulou avec une éducation « asexuée », loin des stéréotypes, j’avais d’autant plus de responsabilité si j’étais le seul référent féminin de la famille. Je me devais de faire d’autant plus attention à l’image des femmes que j’allais renvoyer à mes garçons, aux stéréotypes que je pouvais induire, etc.

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La grossesse a suivi son cours, plus fatigante encore que la première car j’ai dû beaucoup porter Loulou qui avait encore souvent besoin de moi (il ne marchait pas encore pendant les premiers mois). Et lorsqu’on est assistante maternelle, on est constamment debout, accroupie ou assise par terre ; et, une fois en congé mat’, on n’a aucun mode de garde pour son propre enfant. On ne peut donc pas se reposer comme ces mamans dont les aînés sont à l’école ou gardés. Loulou est resté à la maison chaque jour ou presque jusqu’à mon accouchement. À 8 mois de grossesse, comme Chaton se présentait en siège, j’ai dû faire une version (je dis « dû » car j’ai l’impression de ne pas avoir eu vraiment le choix – ce sera d’ailleurs l’objet d’un prochain billet car je ne l’ai pas bien vécu et je pense que ce sentiment mérite d’être partagé avec d’autres mamans qui sont peut-être dans le même cas). Cette version a précipité l’accouchement puisque, le soir-même, j’ai ressenti les contractions de travail, et Chaton est né le lendemain.

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Les bouleversements de cette 2ème naissance

La naissance de Chaton a été très différente de celle de Loulou. J’y reviendrai aussi. Comme pour Loulou, nous avons pu profiter d’un long moment tous les trois, Chaton au sein et contre moi, pour faire connaissance. Ces moments sont d’une magie ! Ils sont au coeur du bonheur des premiers instants. Un peu sonnée par l’accouchement, je me souviens ne même pas avoir pensé à regarder son visage. J’étais soulagée qu’il aille bien. Mon petit amour était là et le savoir contre moi suffisait à me rassurer et à me rendre heureuse. Je m’en suis beaucoup voulu ensuite de ne pas avoir pensé à le regarder. Je me souviens que c’est Damien qui m’a fait réaliser que, contrairement à lui, je n’avais pas vu son visage. Je me suis alors retrouvée démunie me disant : mais, c’est vrai, je ne l’ai même pas regardé. J’ai lu par la suite que le premier regard est extrêmement important pour le nouveau-né, que le fait de voir sa maman en premier est rassurant pour lui. Et j’ai raté ce premier regard qu’on ne nous rendra plus …

À la naissance de notre deuxième enfant, toutes mes certitudes ont volé en éclat. Je sentais bien que ce petit bébé avait besoin d’être rassuré, qu’il semblait extrêmement fragile. Je culpabilisais d’avoir provoqué cet accouchement en acceptant cette version dont je n’avais pas voulu et qui l’avait fait naître avec quasiment un mois d’avance. Nous avions tous les deux besoin de quelques jours, quelques semaines de plus pour nous préparer à nous rencontrer. Il avait besoin de rester rassuré par ce cocon protecteur qu’était sa toute première maison. Or j’avais la sensation qu’il avait eu tellement peur, qu’il avait tellement souffert pendant cette version, qu’il avait préféré fuir cet endroit devenu trop inhospitalier. Si tu savais comme je m’en veux Chaton de t’avoir privé de ces derniers instants de bonheur in utero … et de m’avoir privé de ta présence en moi par la même occasion !

Le lien entre nous a donc été beaucoup moins automatique qu’avec Loulou. Et cela m’a beaucoup déstabilisée. Les premières semaines, j’ai eu l’impression qu’il fuyait mon regard. Dès que je cherchais à me plonger dans ses yeux, il détournait la tête et je ne savais pas trop comment interpréter cela, d’autant plus qu’il appréciait regarder Damien et échanger avec lui. Il fixait son papa droit dans les yeux et dès que je m’approchais d’eux, il me fuyait de nouveau. Si la seconde d’après Damien réapparaissait, Chaton refaisait surface. J’étais contente de ce lien père-fils mais j’avais la sensation qu’il n’était pas prêt à s’ouvrir à moi, que quelque chose avait besoin d’être réparé entre nous, qu’il ne me faisait plus confiance.

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Les nuits ont été horribles pendant 7 mois et demi. Chaton ne dormait que dans mes bras. Il s’endormait au sein et il était tout bonnement impossible de le coucher où que ce soit ensuite (alors qu’une fois endormi, nous n’avions eu aucun mal à recoucher Loulou au même âge). Au moindre mouvement de ma part pour essayer de le poser (même juste à côté de moi), il se réveillait, me réclamait et ne finissait par se calmer qu’au sein. Je finissais alors par m’endormir en position assise et me réveillait 30 minutes plus tard pour le coucher, mais il se réveillait de nouveau au moindre mouvement et tout recommençait. Pendant 7 mois et demi, j’ai dormi à moitié assise par séquence de 10, 15, 40 minutes et avec mon Chaton dans les bras. J’étais dans un état de fatigue extrême et complètement démunie. Contrairement à la dévotion que j’avais eu pour Loulou, je ne réagissais plus avec Chaton : je n’entendais parfois même pas ses appels les rares fois où je parvenais à le coucher à côté de moi.

Alors, je culpabilisais, bien sûr, de ne pas être la même maman que celle que j’avais été pour Loulou, de ne pas le comprendre autant, de ne pas parvenir à le rassurer. Ça me rendait très malheureuse. Par la force des choses, j’ai été obligée de le laisser pleurer bien trop souvent, et ça générait un stress en moi car je savais à quel point il est mauvais de laisser pleurer son bébé, que ça l’insécurisait (et je le sentais déjà suffisamment insécurisé comme cela), que ça pouvait endommager des cellules de son cerveau … Mais lorsque je devais changer Loulou, l’aider à se laver les mains ou les dents, etc., je le laissais pleurer, parfois fort, et parfois pendant plus d’une minute voire plus (c’est déchirant d’entendre son bébé pleurer pendant une longue minute) … et je m’en voudrai toute ma vie pour ça. Certains disent qu’ils ont élevé chacun de leurs enfants de la même manière : je ne vois vraiment pas comment c’est possible : on ne peut jamais donner au deuxième l’investissement qu’on a eu envers le premier. Et je trouvais ça cruel de condamner mon Chaton à avoir un moins bon traitement que Loulou sous prétexte qu’il était né en deuxième. Ce genre de situations où j’étais dans la même pièce que Chaton et ne le consolais pas m’était intolérable. J’implorais donc Loulou de se dépêcher, ce qui l’angoissait car il ressentait mon stress, ce stress bloquait ses actions, il était donc encore plus lent … Et cette situation qui m’échappait finissait par m’angoisser au point que je m’énerve. J’étais agacée par la situation, et bien souvent, je faisais ressentir cet agacement à Loulou, lui demandant sans cesse de se dépêcher, de faire plus vite (et parfois avec un ton agressif) pour que j’aille rassurer Chaton. Ça n’en finissait pas … Comme j’ai pleuré, bafouillant plusieurs fois à Loulou que ça rendait Maman très malheureuse de ne pas pouvoir consoler Chaton alors qu’il avait besoin de moi !

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Ma culpabilité ne s’arrêtait pas à celle que je ressentais envers Chaton évidemment. Je m’en voulais aussi beaucoup pour Loulou qui vivait très mal le fait de partager sa maman. Il sentait bien que j’étais désemparée de ne pas pouvoir satisfaire mes deux petits garçons. Il pleurait et hurlait sa détresse pendant chaque tétée (et comme je vous l’ai expliqué plus haut, les tétées n’en finissaient jamais). J’essayais de profiter des siestes de Chaton pour faire des activités de grand avec Loulou, d’avoir nos moments de gros câlins et de bisous, de profiter l’un de l’autre. Mais ça ne l’apaisait pas pour autant. Il me l’exprimait clairement « Je veux pas que tu vas chercher Chaton. », « Je veux que Maman reste avec moi ».

Bref, pour la première fois, je me sentais complètement incompétente dans mon rôle de mère. J’avais l’impression de ne réussir à rassurer aucun des deux, de n’être finalement présente pour personne et de ne pas être à la hauteur de ce que méritaient mes enfants. Damien et moi avions choisi que les enfants aient 2 ans d’écart (au lieu des 3 privilégiés par beaucoup) pour que Loulou ne sente pas rejeté en pensant qu’on l’envoyait à l’école au moment où nous avions un autre bébé « plus intéressant à la maison ». À la réflexion, je pense que l’écart idéal dépend du désir des parents mais également de la situation de chacun (familiale, professionnelle, etc). Pour moi, assistante maternelle, deux ans d’écart n’étaient peut-être pas l’idéal finalement : si Loulou avait eu 3 ans, s’il avait été à l’école,  j’aurais pu mieux m’occuper de Chaton pendant le temps scolaire et me consacrer « entièrement » à Loulou une fois de retour à la maison. Là, j’ai eu l’impression de passer du temps avec les deux mais sans véritables moments de qualité, d’être présente sans être présente, de faire avec l’un en me souciant constamment de l’autre, de ne pas apprécier l’instant présent. Et qu’ils l’ont, évidemment, ressenti. J’ai vraiment l’impression, encore aujourd’hui, que Loulou a perdu sa maman pendant 1 an (de mon dernier trimestre de grossesse aux 9 premiers mois de Chaton), période pendant laquelle je n’étais plus aussi présente, que mon attitude vis-à-vis de lui a changé et que quelque chose de notre complicité, de notre fusion s’est brisé pour toujours. Et j’ai l’impression que je ne suis pas parvenue à sécuriser Chaton pendant ses 9 premiers mois si cruciaux de sa vie.

Je m’en veux de n’avoir pas réussi à leur donner, ce qui était si naturel pour moi avant, toute la bienveillance qui leur était due pendant ses mois d' »ajustements ».

Je suis nostalgique de la maman dévouée corps et âme que j’étais avec Loulou avant la naissance de son frère, cette maman que j’avais réussi à être si spontanément et que j’avais rêvé être toute ma vie. Certes, les choses se sont grandement améliorées depuis, tout le monde a fini par trouver son équilibre et nous avons recréé une harmonie familiale. Mais je ne suis jamais vraiment redevenue cette maman que j’aimais tant être …

Pour me rassurer, j’essaie de rationaliser et de me dire que les enfants sont plus ou moins rassurés désormais, que, certes, Chaton n’a pas toujours eu l’attention qu’il méritait mais qu’il s’est aussi construit avec des choses en plus, des choses que Loulou n’avait pas eu la chance d’avoir : un grand frère à prendre pour modèle et qui créait une effervescence permanente, la notion de partage et la frustration de devoir attendre son tour, la présence rassurante d’un grand frère chaque soir pour s’endormir et la capacité à s’endormir sans tétine … et que, pour l’un comme pour l’autre, grandir avec un frère n’a pas de prix. Mais, à ceux qui nous demandent quand nous aurons un troisième enfant, je réponds que nous allons attendre encore un peu …

Désolée pour cet énorme pavé. Quand je commence à écrire, il m’est un peu difficile d’arrêter. J’espère que cet article n’a pas été trop indigeste pour vous (j’imagine que vous n’êtes plus là si c’est le cas ;)). Merci à ceux qui m’ont lue jusqu’au bout. Si mon partage d’expérience peut profiter, d’une manière ou d’une autre, à d’autres parents, alors ces maux mots n’auront pas été vains.

N’hésitez pas à partager, vous aussi, votre ressenti, en commentant cet article. J’imagine que je ne suis pas la seule à avoir vécu cela …

 

A très vite,

Céline.