Sophie est une maman du 21ème siècle bien ancrée dans son époque. Maman de 2 petites filles, elle s’inquiète des enjeux climatiques, n’hésite pas à poursuivre son employeur pour défendre ses droits, à s’impliquer pour lutter contre les cancers génétiques et entend faire savoir à quiconque que la surdité de son mari, Jérémy, n’est pas un sujet en soi. Elle nous parle aujourd’hui de la vie qu’elle a construite aux côtés de ce papa très impliqué dans la vie de famille.
Bonjour Sophie. Peux-tu commencer par nous dire qui tu es et comment est né votre projet bébé avec ton compagnon ?
Hello je suis Sophie. Maman de Salomé trois ans et Norah 18 mois. Je suis en congé parental un peu forcé (vive le droit du travail pour les mamans !) mais on peut dire que je profite de cette pause pour me recentrer et mettre l’art et le voyage au centre de mes activités. J’ai rencontré mon ogre il y a bientôt 5 ans et tout est allé très vite. Un amour incroyable tout de suite et puis quelques problèmes génétiques qui nous ont fait prendre conscience qu’il ne fallait pas trop tarder si nous souhaitions avoir des enfants.
Sur quel modèle familial t’es-tu construite ?
J’ai eu la chance d’avoir des parents très amoureux et aimants. Mon modèle, il est là. Qu’importe les épreuves, si on les vit ensemble et dans le rire, on peut tout affronter. J’ai vu mon papa très impliqué dans son rôle. Il a toujours fait sa part dès que nous étions bébés avec mes frères (biberons, changements de couche, repas, sorties, etc.). Pour moi, c’est une évidence que les papas sont tout aussi qualifiés que les mamans dès lors qu’ils le souhaitent. Le mien a assuré d’autant plus que ma maman était malade d’un cancer, puis, à son décès, il a su être là pour deux. Côté maternel, j’ai gardé l’image que l’on peut être une maman aimante, rigolote et créative tout en assurant le quotidien et en transmettant des valeurs de courage et de partage. Qu’on pouvait être une maman mais aussi une amoureuse et une femme libre et indépendante. Bref, vous l’avez compris, j’ai eu une enfance difficile mais ces valeurs-là, je voulais les transmettre à tout prix.
Peux-tu nous raconter comment tu as rencontré ton mari ?
J’ai rencontré mon amoureux sur tinder ! Et oui ! Clairement j’étais dans une période de ma vie où je cherchais un peu de liberté mais mon côté fleur bleue n’est jamais loin. Finalement, cette application a permis que deux mondes se rencontrent, celui des sourds et celui des entendants. Nous ne fréquentions pas du tout les mêmes endroits ni les mêmes personnes donc cela n’aurait sans doute jamais été possible dans la « vraie » vie.
Quel regard portais-tu sur la surdité avant votre rencontre ?
J’ai toujours été fascinée par la langue des signes. Je me souviens, petite, avoir vu « Quatre mariage et un enterrement » et avoir eu un petit crush de gamine sur le personnage sourd. Plus tard, j’ai eu des élèves sourds dans mes ateliers d’arts plastiques quand j’enseignais. Ça m’a donné envie d’être art thérapeute pour me former au handicap en général. Je me disais que, dans mon métier de médiatrice culturelle, on était trop mal préparé à accueillir les personnes en situation d’handicap. Je trouvais cela aussi injuste que triste.
Quelles étaient tes appréhensions de départ ? Comment les as-tu surmontées ?
Jérémy m’a tout de suite dit qu’il était sourd avant que l’on se rencontre en vrai dans un bar. Je pense qu’il ne voulait pas perdre de temps au cas où cela serait un obstacle pour moi. Je n’avais pas d’appréhension autre que celle des papillons dans le ventre quand quelqu’un vous plait très fort. Il est malentendant et parle bien donc le jour j il n’y a pas eu vraiment de souci. Il m’a quand-même testé là-dessus en m’emmenant dans un bar rempli de sourds pour voir si j’allais partir en courant. Deux mois plus tard, il a « oublié » ses piles pour nos premières vacances ensemble. Notre séjour à Lisbonne a été idyllique et il me dit toujours que ça a été un déclic pour lui. De voir qu’avec ou sans appareil, ça ne changeait rien dans notre relation. Cela ne veut pas dire que tout est parfait. Il a tendance à me parler et moi je dois lui répondre en lsf sans avoir pris de vrais cours. Du coup des fois, je m’énerve car je manque de vocabulaire. Ce sont surtout ses amis et sa famille sourds qui sont extrêmement patients avec moi et me corrigent pour que je m’améliore.
Qu’estimes-tu être le plus difficile dans la vie d’une maman du 21ème siècle ?
Comme je le disais, je pense que mes parents ont énormément influencé ce que je souhaite être et transmettre. Ce que je trouve extrêmement difficile aujourd’hui c’est qu’en plus de devoir être à la fois une mère maternante et indépendante au niveau du travail, les enjeux écologiques aussi font que l’on doit réapprendre tous les petits gestes du quotidien avec la menace du monde que nous laissons à nos enfants. J’ai peur parfois de ne pas être à la hauteur de tout cela.
Qu’est-ce que la maternité a révélé en toi ?
La force de me battre pour mes droits au travail en passant par les prudhommes. C’est un combat de longue haleine mais qui est très important car je ne souhaite pas que mes filles subissent la même chose et puissent avoir des grossesses sereines et sans risque.
La force aussi de me battre contre la fatalité génétique qu’il y a dans ma famille. Je suis porteuse de la mutation brca2 qui prédispose aux cancers du sein et des ovaires. Je me suis donc investie comme ambassadrice auprès de l’association geneticancer pour aider les familles qui sont dans la même situation que la nôtre.
Que peux-tu nous dire sur Jérémy ? Quel papa est-il ?
Mon ogre est le père dont j’avais rêvé pour mes enfants. Il est drôle, toujours partant pour nous emmener découvrir des choses. Il me surprend souvent en me donnant des liens vers des articles qui parlent de la parentalité ou en me parlant de tel achat qu’il faudrait faire pour nos filles. En ce moment il est à fond sur les sièges auto. Je suis hyper sereine quand il doit s’en occuper seul. Il a géré comme un chef quand j’ai eu en octobre ma double mastectomie préventive et que je n’ai pas pu m’occuper du tout des filles pendant plusieurs semaines. Et là, il m’a poussé à partir 10 jours en Russie avec ma grand-mère pour que je profite et je me change les idées. Il a même posé des vacances pour être sûr de pouvoir tout gérer. Ça c’est de l’amour !
Quelle langue utilisez-vous à la maison ?
A la maison on alterne lsf et oral car cela me parait normal que ça ne soit pas toujours le même qui fasse le pas vers l’autre. D’ailleurs j’y vois plein d’avantages quand j’ai mal à la gorge, que je suis fatiguée, dans les transports, que mes filles dorment, etc.
Rencontrez-vous des difficultés spécifiques au quotidien ? Souffrez-vous parfois de regards ou paroles blessants ?
En ce qui concerne sa surdité, j’ai bien du mal à répondre aux questions sur ce qui fait sa spécificité en tant que papa sourd, car c’est notre normalité. Il est peut être bien là le problème, que les gens puissent penser que c’est un souci. Il existe des outils pour faciliter la vie des parents sourds. Par exemple remplacer les babyphones par des alarmes lumineuses. J’ai même envie de pousser le raisonnement en me disant que les parents sourds ont l’avantage de pouvoir communiquer plus rapidement et facilement avec leurs bébés par le biais de la langue des signes. Ce que d’ailleurs de plus en plus de parents entendants et d’établissements de la petite enfance utilisent.
Le souci n’est donc pas dans le lien avec l’enfant mais dans la vision que la société a envers la surdité. On a subi des discriminations surtout lors de ma grossesse pour notre aînée lors du suivi médical, du test de la surdité à la naissance ou encore lors des soins du bébé où des puéricultrices sous entendaient que le papa était trop idiot pour s’occuper correctement de notre fille …
Que souhaiterais-tu voir changer vis-à-vis la surdité ou du handicap en général ?
Aujourd’hui il y aurait beaucoup de travail de sensibilisation à faire autour de la surdité mais ce n’est peut être pas le plus grave. Je m’inquiète beaucoup pour les enfants sourds car il y a beaucoup de coupes de budget dans les écoles et cela pose un vrai problème pour leur scolarisation et donc leur avenir. Mais c’est malheureusement ce qui se passe aussi pour d’autres formes de handicap …
Quels conseils pourrais-tu donner aux personnes qui s’apprêtent à construire leur vie avec une personne sourde ?
Je reçois régulièrement des messages de personnes qui s’apprêtent à construire leur vie avec un sourd, sont déjà en couple ou alors on un petit béguin pour une personne sourde. Je suis toujours un peu ennuyée pour donner des conseils car chaque histoire est différente et aussi qu’il y a différents niveaux de surdité. Certains sourds parlent uniquement en langue des signes, d’autres oralisent un peu ou parlent bien. Je pense que cela peut jouer sur les débuts de relation entre un entendant et un sourd.
Mais quoi qu’il en soit je pense que l’apprentissage de la langue des signes est indispensable car il ne faut pas perdre de vue que, même si la personne en face est appareillée et parle bien, c’est un vrai effort pour elle de concentration. Le premier geste d’amour, il serait là. L’essentiel dans un couple c’est la communication.
Que peut-on te souhaiter ?
Gagner mon combat pour la justice ça serait déjà énorme ! Mais sinon rien de plus que de préserver ce que j’ai déjà. Je me sens déjà si chanceuse.
© Photos : Sophie – Ogresse de Compagnie
Un grand merci, Sophie, pour ton témoignage à la fois « militant » et plein de sincérité. Ton histoire, j’en suis sûre, interrogera sur le regard que l’on porte à l’Autre, quel qu’il soit.
Pour tous ceux qui voudraient en savoir plus Sophie, je vous invite à aller faire un petit tour sur son blog, Ogresse de Compagnie. Vous y découvrirez plein d’idées de sorties à Paris, de réflexions sur notre planète, sur la place de la femme aujourd’hui dans la société et aussi son témoignage sur sa double mastectomie préventive.
A bientôt.
Céline.
Laisser un commentaire