Charlyne, 23 ans, est l’heureuse maman d’Eileen, née grande prématurée à 6 mois de grossesse. C’est pour partager son parcours avec d’autres parents qu’elle m’a contactée. C’est donc avec beaucoup de plaisir que je vous livre le témoignage touchant, authentique et positif de cette jeune maman d’une force incroyable.
Peux-tu nous dire qui tu es et dans quel contexte tu es tombée enceinte ?
Je m’appelle Charlyne, j’ai 23 ans, je suis Toulousaine, et il y a encore peu de temps, j’étais étudiante, loin de ma famille, et cette indépendance me plaisait bien. Je suivais mon cursus, je délirais à longueur de journées avec mes potes, et pendant mon temps libre je faisais ce que j’aime par-dessus tout, m’évader dans d’autres univers en lisant et regardant des séries. Une vie simple.
Et puis un été je suis rentrée à Toulouse pour les vacances, j’ai retrouvé mon copain et bébé s’est mis en route sans qu’on le sache. On ne l’a appris qu’au bout d’un mois et demi.
Quelles ont été vos réactions (à toi, au papa et à vos proches) lorsque vous avez appris que tu étais enceinte ?
Je crois que j’ai été prête à être maman très tôt. J’ai toujours perçu ça comme une étape incontournable dans ma vie, et j’ai depuis des années une opinion très claire et assumée sur l’IVG : je suis pour, mais je serais incapable de m’y résoudre. Heureusement mon copain partage cet avis, donc on n’a même pas envisagé l’option, et on a tout de suite réfléchi à un plan de bataille.
Quand on a annoncé ma grossesse à nos parents, ils étaient inquiets, on ne peut pas le nier. Surtout parce qu’on ne vivait pas ensemble, que j’étais étudiante et que je vivais la moitié de l’année à 500km de mes proches. Mais finalement on leur a montré qu’on avait réfléchi à tout et je pense que ça les a rassurés. Plan de bataille final : La naissance étant prévue pour mi-mars, j’ai décidé de retourner à la fac pour valider mon premier semestre, puis faire une coupure d’un an à partir de décembre, rentrer à Toulouse, et reprendre mon année en janvier suivant. Mon copain lui, allait rester à Toulouse puisqu’il avait son CDI, et on allait se débrouiller pour qu’il soit présent au moins pour les échographies.
Gardes-tu un bon ou mauvais souvenir de la grossesse ?
Je ne peux pas dire que ma grossesse était idéale. J’ai été malade pendant 4 mois, je me sentais seule loin de ma famille et de mon copain, j’étais parfois obligée de suivre mes cours debout parce que je ne supportais plus d’être assise sur les bancs des amphis… Mais en dehors de ça, ça allait, bébé grandissait bien, mes analyses étaient bonnes.
Vous avez vécu une épreuve difficile puisque ta fille est née grande prématurée, à 27 sa. Peux-tu nous raconter dans quel contexte elle est arrivée ?
Si je devais décrire ma fille, Eileen, en deux mots, ce serait « chamboule tout », vous savez, ce jeu où on lance une balle dans une pyramide de boites ? C’est un peu l’effet qu’elle a eu sur la famille !
On était mi-décembre, 6ème mois de grossesse, en pleine semaine d’exams et à quelques jours de mon retour à Toulouse quand j’ai eu mes premières contractions. Je suis allée seule aux Urgences et on m’a appris que mon col s’était ouvert. Tout est allé très vite, on m’a injecté à la fois un produit censé arrêter les contractions, et à la fois un produit pour développer rapidement les poumons du bébé. J’étais effrayée à l’idée de devoir accoucher seule, sans avoir jamais assisté à un cours de préparation, et j’avais peur pour ma fille, je n’arrêtais pas de me demander comment elle allait être, si elle allait vivre. En France je crois qu’on ne réanime pas les enfants nés avant 24 semaines, moi j’en étais à 27. C’est là qu’on se rend compte que finalement entre une fausse couche tardive et un accouchement très prématuré, il n’y a pas grande différence, tout dépend seulement de la force de l’enfant.
Dans tout ce bazar émotionnel, j’ai mis du temps à réaliser que je devais prévenir mon copain. Quand j’ai pu le faire, il a pris la route avec nos parents pour me rejoindre, mais ils sont arrivés bien après la naissance ! C’est ma sœur qui m’a aidée, par téléphone, à gérer mon stress et mes contractions.
Comment le lien s’est-il construit avec ta fille (en sachant que tu n’étais pas préparée à une arrivée aussi rapide, et elle non plus) ?
Quand Eileen est née, j’ai pu lui faire un bisou avant qu’elle parte en réanimation, et ensuite j’ai passé deux longues heures sans nouvelles. Les plus longues heures de ma vie. Ils ont fini par revenir, avec une couveuse pleine de couvertures, et j’ai pu admirer ma fille (ou plutôt un bout de peau sous les couvertures et les tubes) pendant deux minutes, puis elle a pris l’hélicoptère pour Orléans, parce qu’ils n’avaient pas de place libre là où j’étais.
Après son départ, je me suis sentie étonnamment bien, soulagée que l’accouchement soit fini et que mon bébé soit en vie quelque part en France. Je profitais du répit auquel j’avais droit avant de réaliser le long combat qui m’attendait.
Cette nuit-là, une infirmière d’Orléans m’a envoyé une photo de mon bébé, la toute première image que j’ai d’elle. On y voit des langes, des tubes, de l’adhésif, un pied minuscule et deux yeux fermés. C’est sur cette photo que mon copain a pu découvrir sa fille pour la première fois. J’ai passé plusieurs heures à regarder cette image, j’avais un pincement au cœur, comme une grosse boule d’amour qui gonfle, mais qui reste comprimée en même temps. Ce n’était certainement pas ce que j’imaginais, il fallait que je fasse le deuil de ce nouveau-né joufflu de 3kg dont on rêve toutes. Le mien faisait 1,200kg, avait un tuyau dans les poumons, un autre dans l’estomac, une perfusion dans le cordon et des capteurs sur la poitrine.
Je crois que le plus dur cette nuit-là, c’était d’entendre les pleurs des bébés pleins de vie des chambres voisines.
Le lendemain on a été transférés à Orléans, et on a enfin vraiment rencontré notre bébé. Elle avait une chambre pour elle toute seule, c’était le grand confort. Les deux premiers jours j’ai eu du mal à m’impliquer, c’est difficile de créer un lien avec un petit être dont la vie est si incertaine. Mais j’ai dépassé ça et on a peu à peu fait connaissance, je pouvais participer à ses soins, la prendre en peau à peau pendant des heures, passer d’autres longues heures avec les mains dans la couveuse, posées sur son corps sans bouger. Parfois je m’asseyais à côté d’elle et j’écrivais son histoire dans un carnet, parfois on passait le temps avec mon copain en faisant des mots croisés, avec toujours un œil qui guette les signes vitaux sur l’écran. On a appris à connaitre les machines, ignorer leurs bruits insupportables, ne pas paniquer à la moindre sonnerie, replacer un capteur qui a glissé, stimuler notre fille quand son cœur ralentit…
Quels souvenirs gardes-tu de l’hospitalisation qui a suivi la naissance d’Eileen ?
Au bout de quinze jours, on a pu être rapatriés à Toulouse. Et en avion s’il vous plait ! J’étais contente de rentrer chez moi, mais en même temps c’était difficile, il fallait que je m’habitue à un nouvel hôpital, qui me paraissait vieillot par rapport à l’autre, que je m’habitue aussi à partager ma chambre avec trois autres bébés et leurs parents ! On ne parlait pas beaucoup entre nous, c’était un peu chacun sa bulle.
Tout au long des deux mois que ma fille a passés là, elle a fait des progrès énormes, à chaque fois c’était une grande joie. Je me souviens de sa période de sevrage du masque à oxygène. D’abord par petite tranche, un peu chaque jour, 30min, 2h, 4h, 7h, puis 12h ! 14h ! Et puis un beau matin, 24h sans masque, et elle n’en a plus jamais eu besoin. C’était merveilleux, c’est à cette période que j’ai vraiment pu découvrir le visage de mon bébé, parce qu’un masque, accroché à un gros tube fixé sur un bonnet, ça prend beaucoup de place sur une petite tête pas plus grosse qu’une orange. La pesée quotidienne était importante aussi, chaque gramme en plus était un pas vers la sortie, l’objectif c’était d’atteindre les 2kg.
Il y a aussi eu des moments difficiles, comme sa transfusion sanguine, ou ses deux infections qui ont nécessité des perfusions d’antibiotiques pendant plusieurs jours. Mais j’ai appris à lui faire confiance, je ne m’inquiétais plus autant qu’au début. Au fil des jours qui passent j’ai appris à l’accepter, et à la trouver magnifique, même avec ses côtes saillantes et ses jambes épaisses comme un doigt.
Finalement la dernière épreuve qu’on a dû traverser, c’est l’alimentation. Depuis sa naissance je tirais mon lait, que les infirmières lui donnaient à travers sa sonde gastrique. Au moment d’apprendre à téter, ça a été épuisant. Je me suis retrouvée enfermée pendant quinze jours à l’hôpital, pour essayer de l’allaiter, mais elle n’avait pas la force, et j’ai fini par abandonner et passer au biberon. J’avais juste envie de sortir de là, j’étais en train de devenir claustrophobe.
Avec le recul, qu’est-ce que cette expérience t’a apportée ?
Encore maintenant, même si on ne saura jamais pourquoi j’ai accouché si tôt, je continue de me sentir coupable, comme beaucoup de mamans de prématurés. Au fond de moi je me dis que je n’ai pas été capable d’amener mon bébé jusqu’au terme, et qu’en plus de ça j’ai privé le papa à la fois de la grossesse, et de l’accouchement. J’angoisse aussi à l’idée que ça puisse se reproduire pour mes futurs enfants. Mais cette expérience m’a faite grandir, j’ai appris que j’étais bien plus forte que ce que je pensais, et j’en garde un bon souvenir.
Qu’est-ce qui a changé dans ton quotidien depuis sa naissance ?
Ça fait maintenant 11 mois que je suis devenue maman. On a aménagé ensemble avec mon copain, et je suis devenue mère au foyer, toute la journée avec ma fille. J’aime bien ma situation, Eileen est un bébé adorable, et elle commence à peine à se déplacer à quatre pattes, donc pour le moment c’est gérable !
À cause de sa prématurité, elle a quelques soucis que l’on efface peu à peu grâce à ses séances de kiné et de psychomotricité, donc nos semaines sont rythmées par les rendez-vous. À Toulouse on a un super réseau de professionnels formés à la prématurité, c’est en partie pour cette raison que j’ai décidé de faire une croix sur mes études pour le moment, ce n’est pas le bon moment pour quitter la région. C’était un choix difficile à faire, mais je ne regrette pas, même si j’ai un pincement au cœur quand je pense à mes amis qui s’éclatent là-bas.
Est-ce que tu vois des spécificités à être une maman jeune ?
Le plus dur, quand tu deviens maman à 22 ans, c’est ce fossé qui se creuse entre toi et tes potes. Eux font des soirées, des plans de dernière minute, des voyages, des tours du monde même pour certains … Moi maintenant si je veux voir ma meilleure amie, il faut qu’elle vienne à la maison le soir quand bébé est au lit, et on fait une soirée télé. Et comme toutes les mères, le moindre déplacement me demande une logistique compliquée. C’est vrai que ça me manque un peu cette liberté, mais je me dis qu’à côté de ça, je vis des moments de bonheur avec ma fille que les jeunes de mon âge ne peuvent même pas imaginer.
Par exemple, mon moment préféré dans la journée, c’est quand je vais chercher Eileen dans son lit le matin. Voir son visage qui s’illumine rien qu’en me voyant, c’est magique. Et le moment câlin qui suit quand je lui donne son biberon, je ne peux pas m’en passer.
Quelle maman es-tu ?
J’avoue, j’ai tendance à être très câline. Mais je ne veux pas d’une relation fusionnelle, alors je l’amène régulièrement chez ses grands-parents pour qu’elle voie du monde.
Qu’aimerais-tu transmettre à ta fille ?
J’aimerais qu’elle grandisse en ayant confiance en elle, parce que j’ai moi-même souffert d’un gros manque d’assurance. Pour cela, j’essaye de l’encourager et de la féliciter dès que possible, je lui parle de son parcours, je lui relis de temps en temps le carnet où j’ai écrit son histoire, et tous les soirs je la couche en lui disant qu’elle est forte et que je suis fière d’elle.
Que peux-tu nous dire sur son papa ?
Eileen a malheureusement un papa assez peu présent, à cause de ses horaires de travail dans la restauration. Elle le voit pendant ses jours de repos et quelques heures dans l’après-midi le reste du temps. Du coup il ne s’occupe pas beaucoup de la partie soins, mais il adore la faire rire, lui raconter des secrets, faire la sieste avec elle … Eileen a tendance à être beaucoup plus « bavarde » quand il est là, il y a une belle complicité entre eux. J’aime les observer, je les trouve adorables. J’admire vraiment mon copain pour son calme qu’il a conservé tout au long des épreuves qu’on a traversées. Il n’a jamais flanché ou montré d’inquiétude, il s’est adapté très vite.
Quels conseils tirés de ton expérience as-tu envie de donner à d’autres parents ?
Si je devais donner des conseils aux parents de bébés prématurés ou malades, ce serait d’abord avoir confiance en soi, en la médecine, et surtout en son bébé, parce que ce trio peut faire des merveilles si on y met tous du sien. Mais je leur conseillerais aussi d’accepter toutes leurs émotions, même celles qui sont radicalement opposées à ce qu’on attend d’un nouveau parent : la peur, la colère, la culpabilité, la tristesse, l’incompréhension, le deuil, la difficulté à reconnaître l’enfant comme le sien… Il ne faut pas avoir honte de ces sentiments parce qu’ils sont normaux, et on doit les accepter pour avancer. D’ailleurs ce dernier conseil est aussi valable pour les parents de nouveaux-nés en pleine santé qui auraient du mal à créer le lien. On ne réagit pas tous de la même manière et à la même vitesse. Chaque naissance est différente et chacune est belle à sa façon.
Comment vois-tu l’avenir (d’un point de vue personnel comme professionnel) ?
Pour ce qui est de mon avenir à moi, j’aimerais reprendre un travail, pour quitter un peu mon cocon, mais j’attends que ma fille ait soufflé sa première bougie. Pour les études, j’ai espoir de les finir plus tard, quand Eileen aura l’âge d’aller à l’école. Quant à lui faire un petit frère, ça viendra sûrement un jour, mais pas tout de suite, je dois d’abord surmonter mes craintes.
Un immense merci à Charlyne d’avoir voulu partager son histoire avec nous ! Si vous souhaitez, vous aussi, nous apporter votre témoignage, n’hésitez pas à me contacter !
À très bientôt.
Bises.
Céline.
Merci beaucoup Céline d’avoir partagé mon histoire. J’espère qu’elle aidera à faire connaître le monde de la prématurité, qui intrigue tant.
Un grand merci à toi de m’avoir contactée surtout ! J’ai été ravie d’échanger avec toi et de découvrir ton histoire. J’espère qu’elle sera porteuse d’espoir pour de nombreux parents ! Bises.
Bonjour et merci pour cet article. Nous avons traversé un combat similaire avec la naissance de notre fils à 26 semaine. C’est toujours beaucoup de souvenirs quand on repense à ce qu’est la prématurité !
Bonjour,
Merci pour votre petit mot !